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Echanger d'une manière constructive différents avis et opinions sur le développement de la situation politique, économique et sociale sur la scène tunisienne.

Tunisie : le défi perdu d'un Premier Ministre islamiste pragmatique

Publié le 20 Février 2013

Paru dans Le Figaro 19 février 2013

"Le premier ministre Hamadi Jebali a démissionné sans avoir pu former un gouvernement de techniciens visant à mettre fin à la crise.

Depuis sa révolution de janvier 2011 qui renversa l'autocrate Ben Ali, la Tunisie n'a plus d'homme fort. Mais, au gré des circonstances, certains politiciens peuvent, subitement et momentanément, devenir des hommes clés de l'histoire politique du pays. C'est le cas du premier ministre, Hamadi Jebali, qui est aussi le secrétaire général en titre du mouvement islamiste Ennahda («Renaissance» en arabe), lequel est de loin le premier parti politique tunisien, avec 89 députés à l'Assemblée constituante (qui compte un total de 217 sièges).

Depuis son accession à la primature en décembre 2011, cet ingénieur de 63 ans n'avait pas particulièrement brillé dans ses fonctions. Il s'était bien rendu, en janvier 2012, au 42e Forum économique de Davos mais, là, s'exprimant dans un français approximatif, alignant ses idées de manière un peu confuse, il n'avait pas réussi à convaincre les investisseurs internationaux de revenir en Tunisie. Sur le plan intérieur, il n'avait pas réussi à empêcher les agissements des militants salafistes, ultra minoritaires mais très bien organisés. Ces derniers se permirent de planter, en toute impunité, le drapeau noir de l'islamisme sur le campus de l'université de la Manouba, le 7 mars 2012, contre un doyen défendant bec et ongles la laïcité et la neutralité traditionnelles de l'université tunisienne. Au lieu de défendre le doyen, le gouvernement avait lâchement renvoyé dos à dos les partis en conflit. Pire, il avait donné une suite judiciaire à la plainte d'une étudiante islamiste qui, revêtue de son niqab noir, avait saccagé le bureau du doyen, symbole de «mécréantise», puis l'avait accusé de l'avoir giflée. L'affaire n'est toujours pas jugée.

Levée de boucliers

La faiblesse étant toujours punie, le gouvernement Jebali fut confronté, six mois plus tard, à bien pire. Le 14 septembre 2012, les salafistes envahirent l'ambassade des États-Unis, pour y planter à nouveau leur bannière noire. Jamais un incident aussi grave ne s'était produit entre Washington et Tunis, l'Amérique et la Tunisie ayant toujours entretenu d'excellentes relations. Les images de cette attaque ont nui au prestige de la Tunisie et ont gravement impacté ses ressources touristiques, alors que l'édification de nouvelles institutions ne progressait pas non plus.

Élue en octobre 2012, la Constituante était censée finir ses travaux en un an. Or la Constitution n'est toujours pas rédigée, et aucune commission électorale indépendante n'a encore été formée en prévision de futures législatives. Ce retard est dû aux multiples tentatives d'Ennahda d'islamiser la future Constitution du pays. Un jour, on essaie de faire de la charia la source du droit, et on provoque une levée de boucliers des députés de l'opposition et du barreau de Tunis. Un autre, on prétend que la femme est «le complément» de l'homme, et on jette involontairement dans la rue des dizaines de milliers de femmes, attachées à la stricte «égalité» que Bourguiba leur avait donnée dès les années 1950.

Cette cacophonie, cette paralysie politico-économique, Jebali ne saura pas y remédier. Mais, en revanche, cet homme pieux réagira avec dignité le jour où la Tunisie passa du drame à la tragédie.

Cabinet pléthorique

Le mercredi 6 février 2013 au matin, le leader de la gauche laïque, Chokri Belaïd, fut assassiné devant chez lui par un commando à moto. Face à l'immense émotion qui saisit la population, Jebali trouve la bonne réaction: il annonce qu'il remplacera le cabinet pléthorique (plus de 40 membres) par un gouvernement restreint de technocrates, qu'il ne se présentera pas aux prochaines élections, et qu'il se consacrera à l'accélération de la rédaction de la Constitution. L'intérêt du pays, avant le sien ou celui de son parti.

Au départ, tous les observateurs pensent que Jebali va gagner son pari, tant Ennahda est déconcerté par les foules qui se déplacent pour les obsèques de Belaïd, le 8 février. Mais Ghannouchi, le fondateur et leader historique de ce mouvement de Frères musulmans, se reprend bientôt et parvient à saboter le projet, en obtenant le principe d'un mélange de politiques et de techniciens au gouvernement. Jebali est tout le contraire d'un homme de décision, d'un homme à poigne à la Atatürk.

Issu d'une famille nombreuse de Sousse (sud du pays), Jebali passe un baccalauréat technique avant de se rendre en France en 1969, où il passera neuf ans pour obtenir un diplôme du Conservatoire des arts et métiers. C'est vrai que, résident à la Cité universitaire d'Antony, il passe aussi beaucoup de temps dans les meetings politiques, fasciné par la liberté d'expression régnant en France. Sous Ben Ali, il passera seize ans en prison, sans que ce calvaire ne radicalise ses positions islamistes.

Jebali ne restera pas dans l'histoire comme le forgeron du destin de la Tunisie tel un Bourguiba. L'histoire retiendra-t-elle son nom pour un acte clé à un moment clé? Pour l'instant, sa démission signe son échec à faire bouger son propre parti".

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